Célébration de la Révolution du 1er Novembre 1954, à l’indépendance politique 1962/2022: L’Algérie toujours à la recherche de son destin

0
743

Par Abderrahmane  Mebtoul, professeur des universités

L’Algérie célèbre le  1er Novembre  2022 l’anniversaire du déclenchement de la  Guerre de libération nationale. La France reconnaît l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet et celle-ci est proclamée le 5 juillet 1962. Après plusieurs décennies d’indépendance politique, l’Algérie est toujours à la recherche de son destin, une transition inachevée  et les défis qui l’attendent, avec un monde en plein bouleversement préfigurant d’importantes mutations géostratégiques, entre 2022/2030. Toute politique de développement envisageable sur la période 2022/2025/2030 n’aura de chance d’aboutir que si d’abord l’on tient compte des trajectoires du passé, afin de ne pas renouveler les mêmes erreurs. Cela implique la mise en place de nouvelles institutions débureaucratisées et décentralisées, une refonte de l’État et un minimum de consensus social pour la mise en œuvre, tout projet étant forcément porté par les acteurs politiques, sociaux et économiques.

D’où l’importance pour l’Algérie de se défaire du mythe de la rente issue des exportations de matières premières brutes et semi-brutes. Autre mythe, celui de l’importance des réserves de change issues de la rente comme signe de développement. Rappelons-nous le déclin de l’Espagne pendant plus d’un siècle, après avoir épuisé ses stocks d’or venus d’Amérique; les cas du Venezuela, premier réservoir mondial de pétrole en semi-faillite, et de tous ces pays riches en minerais de l’Afrique en sous-développement.

Voyez l’expérience de la Roumanie communiste de Nicolae Ceausescu, avec une dette nulle, mais une corruption généralisée et une économie en ruine. Comme il faudra aussi éviter l’illusion monétaire face aux tensions financières et budgétaires inévitables entre 2022-2025.  Une nation ne pouvant distribuer plus que ce qu’elle produit, attention donc à la dérive salariale ne pouvant que conduire à la dérive inflationniste qui pénalise les couches défavorisées et sans relancer la machine économique. Cependant, durant cette conjoncture difficile, la cohésion sociale est vitale, et il faudra tenir compte de la pression démographique, souvent oubliée, étant une véritable bombe à retardement, avec plus d’un million de naissances chaque année entre 2015-2022, contre environ 600 000 dans les années 2000, devant avoir un taux de croissance minimum de 8/9% par an pour absorber la demande d’emplois additionnelle qui s’ajoute au taux de chômage actuel entre 350 000/400 000 emplois par an. 

Aussi, il y a lieu de procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale, tels l’éducation-formation, le savoir pilier du développement, la santé, la modernisation de l’agriculture, la culture financière des acteurs économiques, l’efficacité de l’administration, la relance des entreprises à travers une nouvelle politique industrielle, lutter contre les déséquilibres régionaux et les inégalités sociales, la formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaines. Avec le développement des réseaux sociaux, les partis traditionnels et les sociétés civiles servent de moins en moins d’intermédiation sociale et cela n’est pas propre à l’Algérie: l’opposition est atomisée et les nombreux micro-partis et organisations dites «société civile» peu efficaces pour mobiliser la population, déconnectés de la réalité du nouveau monde. Une profonde restructuration de la société devra s’adapter à la perpétuelle évolution, n’existant pas de situation statique. Lorsqu’un État émet des règles qui ne correspondent pas à la réalité de la société, celle-ci émet ses propres règles avec le développement de la sphère informelle. Cela s’applique également à tous les secteurs, notamment le commerce contrôlé à plus de 60% par cette sphère.

C’est que la prospérité ou le déclin des civilisations de l’Orient et de l’Occident a clairement montré qu’une nation sans son élite est comme un corps sans âme. Les expériences historiques montrent clairement que le régime politique – à ne pas confondre avec l’État, au sens épistémologique du terme – qui est un sous-ensemble du système politique, que les tensions que connaît le système, ou celles qu’il est appelé à connaître, doivent être recherchées dans les dysfonctionnements ou les crises d’autorité qui surgissent périodiquement, et depuis longtemps, au plus haut niveau de l’État. Dans le cadre de la bonne gouvernance, il s’agit d’éviter des dépenses inutiles que l’on voile par de l’activisme reflétant une panne d’idées, habitués à dépenser et non à gérer à partir de normes standards et le principal défi est d’ améliorer la gouvernance et lutter contre la corruption.

-Je réitère la proposition que j’ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des études économiques et des contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des comptes, chargé du contrôle du programme de l’habitat en coordination avec le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Habitat et les 31 walis de l’époque entre 1982/1983 et le dossier des surestaries en relation avec le ministère du Commerce, j’avais proposé à la Présidence de l’époque la mise en place en urgence d’un tableau de la valeur avec la numérisation pour permettre l’interconnexion des différents secteurs concernés.  Évitons cette vision du tout-sinistrose. Ceux qui affirment que rien n’a été réalisé depuis l’indépendance versent dans le dénigrement politique, mais il convient de reconnaître qu’existe encore des poches de pauvreté et une répartition inégalitaire du revenu national, ainsi qu’une non-maîtrise de la gestion avec des surcoûts exorbitants, et la corruption qui gangrène le corps social. De 1963 à ce jour, contrairement à certaines analyses malveillantes, depuis l’indépendance politique l’Algérie a connu d’importantes réalisations, mais également des imperfections qu’il s’agit de corriger. Au 1er janvier 2022 l’Algérie comptait 45 millions d’habitants. Mais, quelle était la situation de l’économie, de l’éducation, des infrastructures, des branchements en gaz et électricité, en 1962? La population était alors de 11,62 millions d’habitants, dont 95% d’analphabètes, plus de 80% vivant dans des taudis. D’où l’urgence de corriger l’actuelle trajectoire qui a atteint ses limites.

Cela devra reposer sur une réelle décentralisation, une réorganisation institutionnelle centrale et locale et une vision stratégique de l’avenir dans le domaine économique, social, culturel, diplomatique, et sécuritaire de l’Algérie à l’horizon 2030 en phase avec la transformation du nouveau monde. Dans la pratique des affaires, il n’existe pas de sentiment, et l’attrait de l’investissement productif, – y compris les services à valeur ajoutée, et qu’il soit étranger ou national – repose principalement sur huit facteurs: premièrement, sur une visibilité dans la démarche socioéconomique à moyen et long terme, supposant une planification stratégique, évitant des décisions au gré de la conjoncture; – deuxièmement, de profondes réformes structurelles institutionnelles, macro-et micro- économiques, afin d’attirer les investisseurs créateurs de valeur ajoutée; – troisièmement, sur la levée des obstacles bureaucratiques centraux et locaux qui constituent le facteur essentiel du blocage, car trop de procédures alors que l’investisseur agit en temps réel, en fonction des opportunités à travers le monde, et pas seulement en Algérie. Quatrièmement, sur la réforme du système financier, lieu de distribution de la rente qui n’a pas fait sa mue depuis l’indépendance politique car l’enjeu énorme du pouvoir se limitant à des aspects organisationnels techniques; – cinquièmement, sur la réforme du système socio-éducatif fondé sur les nouvelles technologies: disposer d’une main-d’œuvre non qualifiée à bon marché n’est plus un atout d’actualité avec l’avènement de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur l’économie de la connaissance; – sixièmement, sur l’efficacité des start-up: malgré des compétences, elle restera limitée sans une base économique et des institutions efficientes adaptées au digital et à l’intelligence économique, et cela au risque de renouveler les résultats mitigés, malgré de nombreux avantages, de tous ces organismes dédiés à l’emploi des jeunes; – septièmement, sur l’épineux problème du foncier, car actuellement le mètre carré est trop cher et souvent les autorités attribuent du terrain sans viabilisation ni utilités: routes, téléphone, gaz, électricité; – huitièmement, éviter des changements récurrents des cadres juridiques.

Quelle conclusion tirer? 

Il ne s’agit pas de renier les traditions positives qui, moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement. Depuis fort longtemps et pas seulement durant la période actuelle, l’Algérie semble chavirer un moment et reprendre avec hésitation ses équilibres à un autre moment. Pourtant, au-dessus de tout, l’Algérie reste un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie. La nouvelle configuration politique, pour aller vers une nouvelle République, doit prendre en charge tant les mutations internes de la société algérienne que la nouvelle architecture des relations internationales, et tenir compte de notre histoire car l’histoire est le fondement de la connaissance et de l’action future.