Contribution- Face aux nouvelles mutations mondiales: La nouvelle politique industrielle de l’Algérie doit s’insérer dans le cadre d’une planification stratégique

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Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités

Cette présente contribution est la synthèse de ma communication réactualisée, en prenant en compte le dernier rapport du FMI sur l’Algérie en date du 21 novembre 2022, devant la majorité des membres du gouvernement, les walis, les cadres de la nation, les responsables des grandes entreprises, les organisations syndicales et patronales -à Alger Club des Pins le 4 novembre 2012, sur le thème: «Pour une nouvelle politique industrielle», inséparable de la réforme globale.

Cette intervention faisait suite au débat à Radio France Internationale (RFI), le 24 octobre 2012, à Paris, que j’ai tenu avec le professeur Antoine Halff, de Harvard, économiste en chef du président US Barack Obama et qui était alors directeur de la prospective à l’AIE. Malheureusement, nos propositions d’une brûlante actualité, que certains découvrent en ces mois d’octobre et novembre 2022 n’ont pas été retenues, certains responsables et experts organiques vivant toujours de l’illusion de la rente éternelle.

1.– À l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs préétablis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance. Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet, de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers. L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grandes tailles pour favoriser également les économies d’échelle. Actuellement, une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments: la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous-traite l’ensemble des autres composants. Et ce, avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée.

Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises sont reliées par des réseaux de sous-traitants aux grands groupes. Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement, à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée. En ce XXIe siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail, le moins cher, le plus accessible et surtout bien formé. La qualification devient un facteur déterminant. L’éclatement des vieilles bureaucraties industrielles en réseaux mondiaux leur a fait perdre leur pouvoir de négociation expliquant également la crise de l’État providence. Ce qui explique que certains pays du tiers-monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant à l’horizon 2022/2030 de profonds bouleversements géostratégiques, dont un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un mix énergétique et donc une recomposition du pouvoir économique mondial avec la percée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie et de certains pays émergents à travers l’action des BRICS représentant en 2021 25% du PIB mondial (dominance de la Chine qui approche les 18.000 milliards de dollars)

2.-Les choix politiques et économiques d’aujourd’hui engagent la société sur le long terme. Les changements économiques survenus depuis quelques années dans le monde ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir. Pour des raisons de sécurité nationale, l’Algérie n’a pas d’autres choix que de réussir les réformes dont celle du numérique et de la transition énergétique, qui seront douloureuses à court terme mais porteuses d’espoir à moyen et long terme pour les générations présentes et futures. L’Algérie a besoin d’une autre vision évitant ces slogans dépassés que le moteur du développement quand le bâtiment va tout va ou les matières premières, les industries mécaniques classiques, dont celle des voitures en grande partie des montages de très faibles capacités, fortement capitalistique où l’Algérie supporte tous les surcoûts avec la règle 51/49 dont la révision s’impose. Combien d’organisations et de codes d’investissement depuis l’indépendance politique sans impacts réels. Tirons six leçons pour l’Algérie. Premièrement, la politique industrielle doit tenir compte des engagements internationaux de l’Algérie et évaluer sans passion, les impacts des accords de libre- échange avec l’Europe, avec le Monde arabe avec le continent Afrique, ainsi que les déséquilibres de la balance commerciale avec d’autres pays comme la Chine et la Russie, accords qui nécessitent des dégrèvements tarifaires progressifs ne pouvant pénétrer les marchés mondiaux où règne une concurrence acerbe qu’avec des entreprises publiques et privées performantes, innovantes. Deuxièmement, la forte croissance peut revenir en Algérie.

Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs: une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale. La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise entre les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être conduite que si, au plus haut niveau de l’État, une volonté politique forte les conduit et convainc les Algériens de leur importance d’où avec l’ère d’Internet une communication active transparente permanente. Ensuite, chaque ministre devra recevoir une «feuille de route» personnelle complétant sa lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence. Au regard de l’importance des mesures à lancer et de l’urgence de la situation, le gouvernement devra choisir le mode de mise en œuvre le plus adapté à chaque décision.

Troisièmement, les actions coordonnées et synchronisées dans le temps exigent le courage de réformer vite et massivement, non des replâtrages conjoncturels mais de profondes réformes structurelles à tous les niveaux en ayant une vision stratégique pour le moyen et le long terme, devant donc réhabiliter la planification et le management stratégique. L’Algérie peut y parvenir dans un délai raisonnable. La croissance exige l’engagement de tous, et pas seulement celui de l’État en organisant les solidarités devant concilier efficacité économique et équité par une participation citoyenne et un dialogue productif permanent. Quatrièmement, le pouvoir algérien a vécu longtemps sur l’illusion de la rente éternelle.

L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. Cinquièmement, pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche.

Elle doit ensuite faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi. Sixièmement, la justice sociale, à laquelle je suis profondément attaché, ne signifiant pas égalitarisme, source de démotivation, n’est pas l’antinomie de l’efficacité économique. Mais toute nation ne peut distribuer plus que ce qu’elle produit annuellement, si elle veut éviter la dérive sociale.

3.– Qu’en est-il de la situation de l’économie algérienne ? La mission du Fonds monétaire international (FMI) dirigée par Mme Geneviève Verdier qui a visité Alger du 6 au 21 novembre pour les consultations de 2022 au titre de l’article IV avec l’Algérie.

Le rapport note que la hausse des prix des hydrocarbures contribue à renforcer la reprise de l’économie algérienne suite au choc de la pandémie avec des recettes exceptionnelles provenant des hydrocarbures ayant atténué les pressions sur les finances publiques et extérieures. En 2022, le solde des transactions courantes de la balance des paiements devrait afficher son premier excédent depuis 2013, et les réserves internationales ont augmenté à 53,5 milliards de dollars fin septembre contre 46,7 milliards de dollars fin 2021 avec un excédent budgétaire qui est attendu en 2022. La croissance du PIB hors hydrocarbures devrait s’accélérer pour atteindre 3,2 % en 2022, contre 2,1 % en 2021. Les pertes de production dues au choc de la pandémie seront ainsi en grande partie résorbées, même si des séquelles durables sur le marché du travail et la croissance à moyen terme constituent toujours un risque, avec une croissance du PIB projetée à 2,9% en 2022. Toujours, selon ce rapport publié à Washington le 21 novembre 2022, le taux d’inflation annuel moyen s’est établi autour de 9,4% au cours des derniers mois, son niveau le plus élevé sur 25 ans, devrait ralentir mais devrait rester au-dessus de 8% en moyenne sur fond d’assouplissement de la politique budgétaire Mais le FMI met en garde contre l’euphorie car les perspectives à court terme de l’économie algérienne sont favorables mais sont largement tributaires des prix des hydrocarbures. «La mission estime que la persistance d’une forte dépendance à l’égard des recettes tirées des hydrocarbures et l’augmentation considérable des dépenses prévues en 2023 sont sources de risques importants pour les perspectives des finances publiques dans un contexte de forte volatilité des prix des matières premières et d’incertitude mondiale exceptionnelle et donc un ajustement budgétaire équilibré est nécessaire pour freiner les pressions inflationnistes, rétablir une marge de manœuvre pour les politiques économiques et stabiliser la dette publique. Le resserrement des liens entre les bilans de l’État, des entreprises publiques et des banques publiques pourrait faire peser des risques sur la stabilité financière et la viabilité de la dette. Ceci requiert de vastes réformes du secteur financier afin de renforcer la gouvernance et les modèles économiques des banques publiques, améliorer les capacités de surveillance, catalyser la provision de prêts au secteur privé et favoriser l’inclusion financière. Et en conclusion sur un ton moins pessimiste, selon le FMI, la nouvelle loi sur l’investissement et les décrets associés pourraient créer un environnement plus favorable à l’investissement privé.

Le déploiement envisagé d’un nouveau cadre législatif pour l’investissement dans les énergies renouvelables pourrait également faciliter la transition vers une économie à faible émission de carbone. La mission salue les mesures prévues par les autorités pour améliorer la qualité et la disponibilité des données statistiques et appelle à accorder la priorité aux actions dans ce domaine afin de mieux informer les politiques et les décisions du secteur privé. D’une manière générale, toute la problématique tourne sur retour à la croissance afin d’atténuer les tensions sociales. Or, projet au moment de sa production effective, sous réserve de la levée de toutes les entraves bureaucratiques, demande au minimum pour les PMI/PME , trois années pour atteindre le seuil de rentabilité et un projet hautement capitalistique cinq à sept années. Le juridisme à travers les lois ou décrets sont que des textes juridiques, l’important étant la réalisation sur le terrain, devant s’adapter à la profonde restructuration mondiale qui se dessine entre 2022/2030. Aussi, le gouvernement devra éviter de perpétuer un modèle périmé des années 1980/2020, largement déconnectées des réalités mondiales (notre interview au site américain Maghreb Voices du 21/11/2022), car sur les 7 milliards de dollars annoncés hors hydrocarbures, la structuration donne près de 70% de dérivées d’ hydrocarbures, devant dresser pour ce montant la balance devises, le gain net pour l’Algérie après déduction des matières importées en devises et les différentes exonérations fiscales Les réserves de change, (idem pour les prévisions du taux de croissance et donc du taux d’emplois), annoncées par le ministre des finances de 54,6 milliards de dollars fin 2022, avec une prévision fin 2023 de 59,7 milliards de dollars, avec un déficit budgétaire colossal fin 2022 qui approche les 40 milliards de dépense publique source d’inflation dépendent de trois facteurs, deux qui échappent à la décision interne : l’évolution du cours et du volume des exportations des hydrocarbures, pétrole et gaz ( 98% des recettes en devises avec les dérivées) ainsi que du montant en devises des investissements étrangers. Mais le facteur déterminant reposera sur une forte politique interne d’accélérer réformes qui sont les conditions fondamentales de la relance économique. Le pays doit profiter de cette conjoncture particulière, car en économie, le temps ne se rattrape jamais, toute Nation qui n’avance pas recule forcément, ayant un endettement extérieur relativement faible qui a été selon le FMI de 2.4% en 2020, de 6.5% en 2021 et une projection de 7.7% en 2022., mais avec un accroissement de la dette publique, ayant représenté 50.7% du PIB en 2020,n 59.2% en 2021 et une projection de 65.4% en 2022.

En conclusion, l’Algérie dispose des compétences devant avoir une vision positive de l’avenir et d’éviter les positions et comportements défaitistes. L’Algérie dispose de tous les atouts pour créer la richesse hors économie de la rente devant s’adapter au nouveau monde avec la transition numérique (lutter contre les cyberattaques) et énergétique à l’horizon 2030. L’Algérie doit éviter comme par le passé de dépenser sans compter. Pour une croissance durable, et des exportations hors  hydrocarbures en dehors des dérivés d’hydrocarbures, devant éviter de se limiter à des replâtrages juridiques du commerce extérieur, il faut avant tout avoir des entreprises publiques et privées compétitives (coûts/qualité) dans le cadre des nouveaux avantages comparatifs mondiaux : comme un stade sans joueurs, sans cela il est impossible de pouvoir exporter, se limitant comme par le passé à être toujours une économie rentière. L’entrave principale au développement en Algérie provient de l’entropie qu’il s’agit de dépasser impérativement, renvoyant non seulement aux facteurs économiques mais également sociaux et politiques dont une autre gouvernance par la profonde moralisation des dirigeants et de la société.