Face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales: Les neuf facteurs déterminants du cours des hydrocarbures et les huit axes de la transition énergétique de l’Algérie 2023/2030

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Par Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités

Cette présente contribution, actualisée est une brève synthèse de la conférence que j’ai donnée le 08 juin 2021 de 10h à 12h30 à Alger, devant les représentant des pays de l’Union européenne –ambassadeurs, attachés économiques et politiques- qui est le prolongement de la conférence donnée le 19 mars 2019 de 14h à 16h à l’invitation de l’Ecole supérieure de guerre (MDN), et le même jour à l’invitation de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en son siège, Alger, de 19h à 20h30 devant les attachés économiques de la majorité des ambassadeurs accrédités à Alger, sur le thème l’impact du cours des hydrocarbures sur les équilibres macroéconomiques et macro-sociaux de l’Algérie.

1- Quels sont les neuf déterminants du cours des hydrocarbures

Premièrement :

L’élément central de la détermination du prix du pétrole est la croissance de l’économie mondiale. Aucun expert ne pouvant prévoir au-delà de 2025, du fait des importantes nouvelles mutations du modèle de consommation énergétique.

Deuxièmement:

Le respect des accords de l’OPEP pour le pétrole, étant utopique pour l’instant de parler d’un marché mondial de gaz, plus de 65% étant des marchés régionaux segmentés se faisant par canalisation. Au sein de l’OPEP, l’Arabie saoudite est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l’offre mondiale, et donc sur les prix, tout dépendant d’une entente l’Arabie saoudite, la Russie dans le cadre de l’OPEP+ pour déterminer le prix plancher.

Troisièmement:

Un des plus grand producteur mondial grâce au pétrole et gaz de schiste, sont les USA où du côté de l’offre, nous assistons à une hausse plus rapide que prévu de la production de pétrole (non conventionnel) qui a bouleversé toute la carte énergétique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à un niveau fluctuant entre 8,5 et plus de 10 millions de barils jour entre 2018/2021. Les Etats-Unis, importateur par le passé, sont devenus le plus grand producteur de pétrole brut (tenant compte de la consommation intérieure) devant l’Arabie saoudite et la Russie. Selon The Telegraph, les Etats-Unis devraient pénétrer fortement le marché mondial avec des quantités sans précédent de gaz naturel liquéfié (GNL) 30 projets sont en cours de réalisation, grâce au gaz et le pétrole de schiste pesant ainsi sur le marché mondial du GNL.

Quatrièmement:

L’on doit tenir compte du conflit en Ukraine qui a bouleversé toute la carte énergétique avec la décision du G7 plus l’Australie de plafonner prix du pétrole par voie maritime à 60 dollars le baril et les dérivées à compter de février 2023, ainsi que la décision récente de la commission européenne de plafonner le prix du gaz à 180 dollars le mégawattheure. Certes, ces plafonnements n’ont de chance de succès que si ces prix se rapprochent de ceux du marché mais cela remet en cause la stratégie expansionniste russe avant ces conflits, à travers le North Stream et le South Stream d’une capacité de plus de 125 milliards de mètres cubes gazeux pour approvisionner l’Europe, plus de 45% avant les tensions. Avec le conflit actuel ces canalisations fonctionnent en sous capacités, la demande européenne ayant fortement baissé en 2022, plus de 46%, expliquant d’ailleurs les tensions énergétiques en Europe, la Russie se tourne actuellement vers l’Asie dont la Chine et l’Inde à des prix préférentiels, le projet canalisation Sibérie Chine devant mettre plusieurs années avant son exploitation.

Cinquièmement:

Il faut prévoir le retour à terme, sur le marché de la Libye, sous réserve d’une stabilisation politique, des réserves de 42 milliards de barils de pétrole et plus de 1500 milliards de mètres cubes gazeux, pour une population ne dépassant pas 6,5 millions d’habitants, pouvant facilement produire plus de 2 millions de barils/jour; l’Irak, pouvant aller vers plus de 7 millions/jour et l’Iran, s’il y a accord sur le nucléaire ayant des réserves de 160 milliards de barils de pétrole lui permettant d’exporter entre 4/5 millions de barils jour, sinon plus et possédant le deuxième réservoir de gaz traditionnel mondial, plus de 35 000 milliards de mètres cubes gazeux, derrière la Russie 45 000 et avant le Qatar 20 000.

Sixièmement:

Les nouvelles découvertes dans le monde en offshore en Méditerranée orientale (20 000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région, et en Afrique dont le Mozambique (plus de 4000 milliards de mètres cubes gazeux) qui pourrait être le troisième réservoir d’or noir en Afrique.

Septièmement :

Les politiques de la transition énergétique seront déterminants pour un nouveau modèle de consommation énergétique mondial qui influera sur les prix des hydrocarbures transitionnels. D’ici à 2030/2035, les investissements prévus dans le cadre de la transition énergétique USA/ Chine/Europe/Inde devraient dépasser les 4000 milliards de dollars et les grandes compagnies devraient réorienter progressivement leurs investissements dans ces segments rentables à terme, les industries de la vie pour reprendre l’expression de Jacques Attali. Les USA/Europe représentent actuellement plus de 40% du PIB mondial qui dépasse le seuil des 100.000 milliards de dollars en 2022, pour une population inférieure à un milliard d’habitants. Et si les Chinois, les Indiens et les Africains avaient le même modèle de consommation énergétique, il faudrait cinq fois la planète.

Huitièmement :

L’évolution des cotations du dollar et l’euro, toute hausse ou baisse du dollar, pouvant entraîner un écart de 10/15%.

Neuvièmement :

Les stocks américains et souvent oubliés les stocks chinois.

2.- Les huit axes de la transition énergétique de l’Algérie 2023/2030

Face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales, il s’agit pour l’Algérie d’avoir une stratégie d’adaptation autour de huit axes, dans la mesure où la rente des hydrocarbures représente en 2022 avec les dérivées environ 97/98% des recettes en devises, irriguant tout le corps social : taux de croissance via la dépense publique, taux de chômage, taux de l’inflation, les importations comblant le déficit de l’offre et le niveau des réserves de change qui tiennent la cotation du dinar officiel. Le premier axe est l’amélioration de l’efficacité énergétique devant revoir les méthodes de construction selon les anciennes normes qui exigent de forte consommation d’énergie, alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation. Une nouvelle politique des prix s’impose renvoyant à une nouvelle politise des subventions ciblées, les subventions généralisées, injustes, occasionnant un gaspillage des ressources.

Le deuxième axe, est relatif à l’investissement à l’amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels, tant en Algérie que dans d’autres contrées du monde, Sonatrach ayant une expérience internationale. Cela implique la débureaucratisation pour l’attrait de l’investissement étranger dans le cadre d’un partenariat gagnant- gagnant à des coûts compétitifs, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables. Le troisième axe est lié au développement des énergies renouvelables devant combiner le thermique et le photovoltaïque, le coût de production mondial ayant diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire. Mais le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW, dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation, d’ici à 2030, l’objectif étant de produire 40% des besoins internes en électricité à partir des énergies renouvelables alors qu’en 2021, cela représente seulement 1% donc nécessitent d’importants financements et une nette volonté politique de développer cette filière. Le quatrième axe, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013/2021, selon laquelle l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29 000 tonnes, c’est de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans. Le cinquième axe, selon les études américaines, l’Algérie possède le troisième réservoir mondial de pétrole-gaz de schiste, environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux, mais cela nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies et des partenariats avec des firmes de renom. L’Algérie est un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique, doit être opéré un arbitrage entre la protection de l’environnement et la consommation d’eau douce, 1 milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce. Par ailleurs, l’on doit forer plusieurs centaines de puits pour 1 milliard de mètres cubes gazeux en tenant compte de la durée courte de la vie du puits, 5 années maximum et la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant les nappes phréatiques non renouvelables. Le sixième axe, consiste en la redynamisation du projet GALSI, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait relié à la Corse et qui devait être mis en service en 2012, d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût estimation de 2010 de 3 milliards de dollars, (voir conférence du Pr Mebtoul à la Chambre de commerce en Corse reproduite par la télévision française France 3 où j’avais lors d’un déplacement en Sardaigne défendu ce projet). Le septième axe, est la réalisation du gazoduc Nigeria-Europe via Niger l’Algérie, pas de contrat définitif, actuellement que des lettres d’intention, les réserves du Nigeria avoisinant 5000 milliards de mètres cubes gazeux, d’une capacité de 33 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût estimé par une étude de 2020 de l’Union européenne, à 20 milliards de dollars contre 30 milliards de dollars pour celui passant par le Maroc. La rentabilité du projet Nigeria-Europe suppose quatre conditions : la première concerne la mobilisation du financement ; la deuxième concerne l’évolution du prix de cession du gaz ; la troisième condition est liée à la sécurité et aux accords avec certains pays, le projet traversant plusieurs zones alors instables; la quatrième condition est l’accord de l’Europe principal client dont la demande future sera déterminante ainsi que la concurrence qui influe sur la rentabilité de ce projet. Le huitième axe est le développement de l’hydrogène vert où l’Algérie présente des avantages comparatifs, en attendant l’opérationnalité des techniques qui ne sont pas encore mises au point, les allemands étant en avance dans la recherche, étant l’énergie de l’avenir entre 2030/2040.

En conclusion, la future stratégie énergétique mondiale, à laquelle l’Algérie doit être attentive, étant une question de sécurité.