Hommage à feu l’économiste Mohamed Bahloul: Le savoir, fondement de la richesse des nations

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Mohamed Bahloul, brillant économiste, que j’ai eu l’honneur d’avoir comme étudiant en licence  et magister entre les années 1977/1983 vient de s’éteindre le 4 mai 2023 après une longue maladie.

Que le Dieu le Tout-Puissant puisse l’accueillir dans Son Vaste p¨Paradis. Il a participé activement sous ma direction  dans le cadre de l’audit réalisé sur les axes de la relance de l’économie algérienne 2015/2025/2030 (huit volumes 900 pages) d’une brûlante actualité remis au Premier ministère le 15 janvier 2013 au volume  consacré au capital  humain avec deux autres experts sur le thème: «Le capital humain, comme socle d’un nouveau développement : éléments pour une analyse comparée du système éducatif algérien», le docteur Abdelhak Lamiri ayant abordé le thème: «Éducation : que faut-il faire?» et le professeur Abdelkader Djeflat,  coordinateur du réseau de recherche sur la science et la technologie dans le développement du Maghreb Maghtech, «la nécessité d’insérer l’Algérie dans un nouveau régime de croissance tiré par l’économie du savoir et de l’innovation», mais avons nous été écoutés, certains responsables, comme cela sera démontré par la suite,  étant surtout préoccupés par les enrichissements personnels au détriment des intérêts supérieurs de la Nation.  En sa mémoire, lui qui a toujours défendu le savoir comme pilier du développement, je lui dédie cette contribution.

1- Un élément fondamental du savoir est la maîtrise du transfert de technologie, fondement du développement, mais qui ne saurait se limiter à l’aspect technique mais renvoie à l’organisation de la société algérienne d’une manière générale face aux mutations tant internes que mondiales. Selon l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) le transfert technologique est le processus désignant le transfert formel à l’industrie de découvertes résultant de la recherche universitaire et la commercialisation de ces découvertes sous la forme de nouveaux produits et services. Pour la recherche académique, le transfert de technologie est une opération qui consiste à transmettre les connaissances issues d’une recherche, formalisées ou non sous forme de brevet (s) ou de droits de propriété déposés, à un autre centre de recherche, public ou privé, destiné à les poursuivre à des fins de développement industriel; ou à transformer la recherche en innovation industrielle, en cédant ses découvertes à une société. Si l’on se limite à l’industrie, un transfert de technologie consiste à vendre, par contrat, à un acquéreur, les droits d’utilisation d’une technique, d’un procédé, d’un produit (bien marchand) dont on est propriétaire, ainsi que le savoir-faire nécessaire à sa production industrielle. Le propriétaire de la technologie reste donc propriétaire, et l’acquéreur est contractuellement limité à un marché (limites géographiques, type de clientèle, volumes, par exemple) et soumis à des contraintes de diffusion (l’acquéreur ne peut pas lui-même transférer la technologie). Comme on ne doit pas confondre un transfert de technologie avec une cession de licence, le transfert de technologie incluant la communication d’un savoir-faire adapté au contexte de l’acquéreur. Droit public ou privé. Quelles sont les différentes formes de transfert de technologie? Nous pouvons classer cela en différentes formes d’ailleurs souvent complémentaires. D’abord, la diffusion des connaissances, parfois nommée diffusion et transfert de connaissances, qui est une discipline pratiquée par les centres de recherche à des fins d’information des organismes publics, des entreprises. Cette diffusion est pratiquée lors de congrès, par des publications constituant une des sources d’information de la veille technologique, veille qui permet de surveiller l’évolution des connaissances, du savoir-faire, de la faisabilité et des inventions dans un domaine et ses environnements de développement. Mais à proprement parler la veille technologique n’est pas un transfert de technologie mais facilite le transfert. Vient ensuite le siphonage technologique qui consiste à déterrer les projets somnolents dans les laboratoires de recherche, les universités, qui n’ont pas trouvé de débouchés industriels, pour les promouvoir à fin de créations d’entreprises. Une autre méthode de transfert souvent utilisée dans l’industrie pour faciliter la maîtrise du savoir-faire est le recrutement des cadres et des spécialistes d’une technologie. C’est une des activités des chasseurs de têtes, des cabinets de recrutement ou parfois cela débouche sur l’espionnage industriel si les bénéficiaires des informations savent les exploiter. Egalement on peut citer comme facilité de transfert dans une première phase la rétro-ingénierie appliquée dans l’enseignement technique, la contrefaçon ou piratage, prohibée selon les clauses de l’OMC qui a introduit la protection de la propriété intellectuelle, débouchant parfois sur une acquisition du savoir-faire, par la méthode des tâtonnements. Enfin nous avons le transfert partiel de technologie à travers la licence de production accordée à l’acquéreur mais exclut certaines technologies comme la protection du secret d’un savoir-faire.

2- Face à la pression de la concurrence par l’innovation, du développement de produits sur mesure et de technologies de plus en plus complexes, à la production de services de plus en plus personnalisés, le travail demandé aux salariés n’a plus rien d’immédiat. De plus en plus, les directions d’entreprises demandent aux salariés de produire la connaissance de leur propre travail d’où l’importance d’une formation permanente. Cette production de connaissances repose sur des formes d’engagement et d’implication qui font jouer un rôle central à l’initiative, à l’intuition, aux jugements (la fameuse boîte à outils japonaise source d’innovation par le collectif des travailleurs) mais aussi aux capacités des individus et plus largement aux «savoirs sociaux». Le Knowledge Management est stratégique pour chaque entreprise qui veut continuer à réussir. Le management des connaissances s’appuie sur les leviers de succès à savoir, les connaissances incorporées dans les produits et services, les connaissances et compétences humaines au sein de l’entreprise (le capital humain), les connaissances contenues dans les processus (la structure interne), la mémoire organisationnelle, la mémoire transactionnelle et enfin les connaissances en tant que biens immatériels (capital intellectuel). Cette ouverture traduit la nécessaire rupture avec les formes de gouvernance centralisées, disciplinaires et mutilantes héritées de l’ère fordienne. Aussi, le capital se socialise dans différents dispositifs technico-organisationnels influant dans le rapport des individus au travail. Les enquêtes montrent clairement que cette extension des savoirs sociaux s’accompagne de nouvelles formes de segmentation (qualifiés/non qualifiés, mobiles /immobiles, jeunes/vieux, homme/femme) et d’un partage des activités et services qui deviennent de plus en plus marchands (délocalisation avec l’informatique en Inde, l’électronique au Japon, Corée du Sud). Cette approche socioculturelle qui rend compte de la complexité de nos sociétés dont le transfert de technologie en est l’aspect apparent doit beaucoup aux importants travaux de l’économiste indien, prix Nobel, Amartya Sen où d’ailleurs, selon cet auteur, il ne peut y avoir de développement durable sans l’instauration de l’économie de marché concurrentielle et d’une véritable démocratie solidaire qui seule permet à la fois la tolérance, la confrontation des idées contradictoires utiles et l’épanouissement des énergies tenant compte des anthropologies culturelles des sociétés.

Il existe un lien dialectique entre le transfert de technologie et la culture d’une manière générale. La culture nationale n’étant pas figée, mais évolutive fortement marquée par l’ouverture de la société sur l’environnement englobant l’ensemble des valeurs, des mythes, des rites et des signes partagés par la majorité du corps social est un constituant essentiel de la culture d’entreprise et du transfert technologique. Les expériences réussies du Japon, des pays émergents comme la Chine et l’Inde montrent que l’on peut assimiler la technologie sans renier sa culture. D’ailleurs, le transfert est favorisé lorsqu’existe une meilleure compréhension des valeurs convergentes et divergentes qui s’établissent entre deux groupes et vouloir imposer ses propres valeurs, c’est établir une relation de domination qui limite le transfert. Aussi, la culture d’entreprise est un sous-produit de la culture nationale et par conséquent un ensemble de valeurs, de mythes, de rites, de tabous et de signes partagés par la majorité des salariés et un élément essentiel pour expliquer les choix stratégiques en renforçant les valeurs communes : exemple, les règlement de conduite, les descriptifs des postes, ainsi que par le système de récompense et de sanctions adopté afin de mobiliser les salariés, qu’ils s’identifient à leur entreprise et s’approprient son histoire. Tout cela facilite le transfert de technologie qui ne doit pas se limiter à l’aspect technique, mais également managériale, organisationnel et commercial. L’indice de développement humain ou IDH développé en 1990 par l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq et l’économiste indien, prix Nobel d’économie Amartya Sen traduit l’importance du développement du capital humain dont l’éducation et la santé.

En conclusion, devant mettre  fin au mythe que c’est la possession d’importantes fortunes qui fait la valeur d’une personne, lorsque des responsables au plus haut niveau de l’Etat, Premier ministre, ministres et walis recevront au perron de leurs bureaux avec un tapis rouge, les véritables entrepreneurs créateurs de richesses, des professeurs et chercheurs de renom, on pourra alors dire que l’Algérie aura changé. Car la bataille de la relance économique de l’Algérie et notre place dans la compétition mondiale se remportera grâce à la bonne gouvernance et notre capacité à innover. Combien de compétences avérées, formées par  l’Algérie, ayant privilégié  dans bon nombre de cas les relations de clientèles, fondement  du système bureaucratique-rentier, au lieu des compétences se sont expatriées  constituant une fuite de capitaux indirects se chiffrant en milliards de dollars, montrant, contrairement aux discours,  qu’il reste un long parcours  pour que nos gouvernants intègrent l’économie de la connaissance. Nous sommes à l’aube de la quatrième révolution technologique mondiale, avec le développement de l’intelligence artificielle, la transition numérique et énergétique qui préfigurent un bouleversement mondial. Concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale dans le cadre d’une économie ouverte, par la maîtrise du savoir, constitue le défi principal de l’Algérie. Aussi, le passage de l’État de «soutien contre la rente» à l’Etat de droit «basé sur le travail et l’intelligence» est un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la Nation et l’Etat.

A. M.

(ademmebtoul@gmailcom)