La décision du G7+Australie de plafonner le prix du pétrole russe à 60 dollars à l’épreuve du marché

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Lors de la  réunion de l’OPEP+ le 04 décembre, les représentants des treize membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs dix alliés ont convenu de garder le cap décidé en octobre 2022 d’une réduction de deux millions de barils par jour jusqu’à fin 2023 où parallèlement le G7+ Australie ont décidé de plafonner le prix du pétrole russe à 60 dollars à  compter du 05 décembre 2022.  Le cours du pétrole à la veille de la réunion OPEP+ et de cette décision de plafonnement qui était attendue d’ailleurs, a été coté  à 85,42 dollars le Brent et à 80,34 dollars le WIT, impact limité puisque le 06 décembre 2022 le cours du pétrole a a été  coté avec une légère baisse,  le 06 décembre 12h GMT,  pour le Brent  à  81,74 dollars le baril  et à 76,08 dollars le Wit. Quant au prix de cession du gaz, ayant culminé il y a quelques mois  entre 300 et 350 dollars  le mégawattheure pour le cours de novembre de 2022 est coté à  une moyenne de 100 dollars du fait des  incertitudes de l’économie mondiale, où le FMI annonce une probable récession pour 2023. Cette présente contribution est la synthèse de mon intervention  à la télévision internationale AL24 News le 04 décembre 2022 19h30/20h où est intervenu également Francis Perrin expert international en Energie, directeur de recherche à l’IRIS,

1.-Le poids économique des pays en présence

Le PIB mondial est estimé à 84.700 milliards de dollars en 2020 devrait franchir la barre des 100.000 milliards de dollars pour la première fois en 2022  Étant dominée par les hydrocarbures étant surtout une puissance militaire pour une population de 146 millions d’habitants, sur un an, le produit intérieur brut étant estimé par le FMI à  1.703 milliards de dollars en 2022, proche  de celui de l’Espagne. Les sanctions ayant eu pour l’instant un impact mitigé sur les équilibres financiers, les exportations d‘hydrocarbures russes représentaient 46% de ses exportations totales en valeur, l’Europe ayant contribué presque pour moitié à ses recettes pétrolières. Selon l’Institut Montaigne, les ventes de pétrole russe ont atteint 179 milliards de dollars en 2021, contre 62 milliards pour le gaz. Qu’en sera-t-il après les sanctions récentes d’autant plus que la Russie supporte un effort de guerre important  face à la coalition occidentale ? Quant à l’espace européen avec la dominance de l’Allemagne et à un degré moindre de la France, l’Europe a une population de 440 millions d’habitants non inclus la Grande- Bretagne et un PIB de 14 476 milliards d’Europe de 2021. En incluant la Grande-Bretagne qui a un PIB de 2695, nous aurons un total de 17.171 milliards de dollars plus Etats-Unis d’Amérique dont le PIB a été de 22900 en 2021 et les prévisions pour 2022 donnent 24793 pour 332 millions d’habitants, cet espace le plus riche du monde pour une population inférieure à 1 milliard d’habitants accaparent près de 40% de la richesse mondiale.  Pour le  bloc asiatique, avec la dominance de la  Chine, sa population  en 2021,  est de 1,41 milliard d’habitants pour un PIB prévu en 2022 de 18.460 milliards de dollars  les extrapolations la donnant horizon 2030 comme la première puissance économique du monde sans oublier l’Inde, pour 2021, le PIB est estimé à 3250 milliards de dollars PIB pour une population de 1,5 milliard d’habitants, deux pays qui ont un poids important au au sein des BRICS qui représentent en 2021 25% du PIB mondial mais plus de 45% de la population mondiale, préfigurant un grand bouleversement mondial  avec toutes les adhésions attendues à contrebalancer les poids de l’Europe et des USA à un monde multipolaire. 

2.-Quels sont les pays qui influent sur le prix du gaz et du pétrole ?

Les pays qui influent sur le prix du pétrole en référence à leurs réserves potentiels sont l’Arabie saoudite, la Russie et les USA qui produisent plus de 10 millions de barils par jour, le Venezuela du fait des sanctions, bien que possédant la plus grande réserve mondiale de pétrole 199 milliards de barils avant l’Arabie saoudite 266 mais un pétrole lourd  étant marginal sans oublier, l’Iran 157  et l’Irak 143, la Libye 42  milliards de barils pour une population ne dépassant pas 7 millions, expliquant   les tensions  et les enjeux de certaines puissances étrangères au niveau de de pays, l’Algérie possédant 10 milliards de barils. Pour le gaz, non concerné par la récente décision du G7, devant distinguer  les exportations par canalisations dominantes plus de 65%  et les exportations par GNL ayant progressé de 5% en 2021, où trois pays totalisent les 60% l’Australie (21,1%), le Qatar (20,7%) et les États-Unis (18,0%) et derrière  la Russie (7,9%), expliquant sa forte dépendance pour les canalisations,  qui nécessitent de lourds investissements mais ayant une plus grande flexibilité.

Les réserves exploitables ce sont les USA  (gaz de schiste) 12 600 milliards de mètres cubes gazeux, étant devenu exportateur en direction de l’Europe, la Russie 37 000 milliards de mètres cubes gazeux  de réserves, L’Iran pénalisé par  les sanctions  32 000  et le Qatar près de 24 000  et le kurmédistan  13 000 et les USA 12 900.  Pour l’Afrique nous avons  Nigeria 5000 milliards  de mètres cubes gazeux, le Mozambique avec 5000  et l’Algérie 2500 possédant le troisième réservoir mondial de gaz de schiste  environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux et la Libye réserves d’environ 1500 non exploités.

3.-L’interdépendance énergétique Russie/Europe

Il  y a interdépendance des économies où en 2021, l’UE consommait 400 milliards de mètres cubes de gaz  et environ 45% des importations du gaz naturel provenait de la Russie, environ 155 milliards de m3. Selon la société de conseil Enerdata, l’Union européenne est le troisième plus gros consommateur d’énergie du monde en volume, derrière la Chine et les États-Unis. Plus de 70% de l’énergie disponible européenne est d’origine fossile : le pétrole (36%), le gaz (22%) et le charbon (11%) dominent ainsi les autres sources d’énergie, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 points depuis 1990. À l’inverse, les énergies renouvelables représentaient plus de 22% de la consommation finale d’énergie dans l’UE en 2020, contre 16% en 2012, avec une extrapolation de 50% à l’horizon 2030. Mais existe également la dépendance de la Russie vis-à-vis de l’Europe, les exportations destinées à l’Union européenne représentaient 52% du total des exportations russes en 2014, pour diminuer à 41% en 2020 et remonter à 47% en 2021 mais ayant fortement diminuées en 2022.  Les importations de la Russie provenant de l’Union européenne représentaient 43% du total des importations russes en 2013, pour tomber à 36% en 2020. Pour ce qui est de l’ensemble des exportations de l’Union européenne, celles dirigées vers la Russie sont passées de 9% en 2013 à 5,7% en 2019. Selon certains experts de l’Union européenne, une diminution, voire un arrêt total des livraisons de gaz russe, serait fort dommageable pour de nombreux pays européens.

Les alternatives existantes mais coûteuses existent avec un pic inflationniste dû à l’envolée des prix des produits énergétiques, mais également de bon nombre de produits alimentaires dont la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs (plus de 30% du marché mondial).  Aussi, malgré une intensification des échanges gaziers avec la Chine comme le fameux gazoduc Power of Siberia d’environ 2000 km dont le coût provisoire a été estimé 50 milliards de dollars, pour une capacité qui n’entrera en production que vers fin 2023, sous réserve de la maitrise du projet, d’une capacité de 38 milliards de mètres cubes par an, soit 9,5% du gaz consommé en Chine alors que, les exportations gazières vers l’Europe représentaient en 2021 entre 15/20 % du PIB russe.

4.-La  décision du prix du pétrole  plafonné sera-t-elle efficace ?

L’Union européenne, le G7 et l’Australie se sont accordés le 04 décembre 2022 pour fixer un seuil maximum de 60 dollars pour les barils de pétrole russe par voie maritime et non pas par les canalisations,  (qu’en sera-t-il du gaz russe où existent des divergences au niveau de pays de l’UE). Ce mécanisme du prix plafond a été conçu pour réduire les revenus de la Russie  et affaiblir son économie fortement dépendante des hydrocarbures, ceci étant une loi universelle, tout effort de guerre se faisant au détriment du développement durable,  où selon l’Institut les ventes de pétrole russe ont atteint 179 milliards de dollars en 2021, contre 62 milliards pour le gaz. L’Union européenne était son plus grand partenaire commercial où selon l’Agence internationale de l’énergie, les recettes pétrolières et gazières représentaient environ 45 % des recettes du budget fédéral de la Russie en 2021, sans compter  le gel d’une partie des réserves de change estimées  au 1er janvier 2022 à 630 milliards de dollars  déposées dans les banques occidentales  Le mécanisme selon ses concepteurs  devrait permettre également de faire des ajustements, de façon à ce que le prix plafond puisse être ramené à la baisse. Mais le Kremlin a prévenu qu’il ne livrerait plus de pétrole aux pays qui accepteraient ce mécanisme, une position réaffirmée  par le vice-Premier ministre russe chargé de l’Energie. La Russie s’étant  déjà tournée vers d’autres pays, en premier lieu la Chine et l’Inde, pour écouler ses stocks, le  G7 a  imaginé d’autres mécanismes, en complément, pour éviter que la  Russie ne bénéficie d’une hausse des cours.

À compter du 5 décembre 2022, les acheteurs qui ne respectent pas le prix plafond ne pourront pas obtenir de services, comme l’assurance des expéditeurs, de la part d’entreprises de l’un ou l’autre des pays membres de la coalition (les pays du G7 et l’Australie)  qui contrôlent plus de 90% de ces segments d’assurance. La coalition envisage également d’imposer, au début de février  2023, un prix plafond semblable pour les produits pétroliers d’origine russe autres que le pétrole brut dont le gazole. Cela rentre dans le cadre de la mise en œuvre intégrale des propositions de la Commission européenne «Ajustement à l’objectif 55» afin  de réduire de plus de  116 milliards de mètres cubes, d’ici à 2030 des importations russes soit plus de 75%.  Mais actuellement  le  plafonnement pourrait avoir un effet limité à court terme, le cours du baril de pétrole russe (brut de l’Oural) évolue actuellement autour des 60/65 dollars, soit à peine plus que le seuil décrété, ce qui tant pour la Russie que les consommateurs européens pourrait avoir un effet limité. Car le prix plafond ne fonctionne que s’il est en dessous ou égal à celui du prix du marché, et avec les incertitudes  dues aux facteurs géostratégiques et pas seulement économiques, il est presque impossible de connaître le prix dans six mois ou une année et plus, expliquant l’attitude de statu quo de l’OPEP lors de sa réunion du 04/12/2022. L’interdiction pourrait avoir des effets pervers  pas seulement pour Moscou, mais pour l’Europe et bien entendu les pays en voie de développement importateur de pétrole,  renforçant la récession économique mondiale et l’inflation Les gouvernants  résisteront-ils à la forte pression sociale  interne de leur populations, l’endettement public qui atteint un pic intolérable ayant des limites. Pour les USA, l’endettement des Etats-Unis a augmenté de 2.000 milliards de dollars en 2022 pour s’élever à 24.300 milliards de dollars soit 97% du PIB américain  et  pour la fin du premier semestre 2022, 182,1 %, pour  la Grèce,  l’Italie (150,2 %) et le Portugal (123,4 %) et  la France 113,1 % de son PIB, l’Allemagne,  le pays le plus pénalisé  fortement dépendante du gaz et pétrole russe, avec une stagnation de la croissance, étant prévu pour 2023 une baisse de  0,7% ayant pourtant  un ratio tolérable, donc avec plus de marges de manoeuvres,  avec un endettement public de 1. 574,4 milliards d’euros  pour environ 3.600 milliards d’euros de PIB. Pour l’Espagne, la dette de l’ensemble des administrations publiques a atteint en septembre le niveau record de 1.504 milliards d’euros, soit une augmentation en termes relatifs de 0,8 % par rapport au mois précédent, et le ratio au PIB s’est établi à 116 %, selon les données publiées, lundi 28 novembre 2022, par la Banque centrale. D’une manière générale,  le  continent perdant est  l’Europe et les gagnants les USA qui ne dépendent pas du gaz russe,  accroissant leur part de marché  et la Chine et bon nombre de pays d’Asie (Inde ) bénéficiant d’un bas prix russe des hydrocarbures, ( moins de 60 dollars le baril), mais ne devant pas oublier, les importants contrats à moyen et long terme vers l’Asie du Qatar  et l’Iran, pays  proches de l’Asie qui écoulent à un prix  en dessous de celui du marché qui concurrent du pétrole  et gaz russe.

En conclusion, au moment où s’est tenue  en Italie le 03 décembre 2022 le Forum  Rome-MED, je rappelle mes   interventions, l’une  à la rencontre des experts au sommet France – Afrique tenue à Paris les 06/07 décembre 2013 reproduite dans la  revue CAFRAD/UNESCO, la seconde au Sénat français à l’invitation du professeur et ministre français Jean  Pierre Chevènement  en juin 2015 qui était le président de l’Association France-Algérie, concernant les enjeux énergétiques en Méditerranée et les relations Algérie- Europe,  où selon le professeur Jean Louis Guigou, président d’honneur de l’IPEMED, les dynamiques énergétiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux,  l’énergie, particulièrement, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité.

  1. M.