Le savoir, fondement de la richesse des Nations

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Revoir le fonctionnement de l’Université en relation avec la réforme du système socio-éducatif et favoriser la symbiose avec l’environnement par la maîtrise du transfert technologique.

Je tiens à saluer la dernière réunion du Conseil des ministres où le président de la République a décidé de revoir le statut des enseignants du supérieur, en espérant également celui du primaire et du secondaire. Cette présente contribution est le fruit d’une expérience de plus de 50 années malgré les hautes fonctions que j’ai eu à occuper dans les différents appareils l’Etat n’ayant jamais quitté l’université, ayant formé de milliers d’étudiants entre 1974/2021 dont plusieurs centaines sont devenus professeurs, des milliers occupant des fonctions dans les administrations et les entreprises et malheureusement d’autres à l’étranger.

1 – Cette proposition de revalorisation des salaires de l’Université, que j’ai faite en 2008, lorsque la présidence de l’époque m’avait confié le dossier de l’emploi et des salaires ( 7 volumes 680 pages), ayant proposé que le salaire du plus haut grade de l’université soit aligné sur celui de ministre; le Premier ministre de l’époque s’étant opposé à cette proposition. Cette proposition a été également rééditée lors de l’audit sous ma direction sur les axes de la relance de l’économie algérienne 2015/2025/2030 (huit volumes 900 pages) remis au Premier ministère le 15 janvier 2013 au sein du volume consacré au capital humain rédigé trois experts, le professeur Abdelkader Djeflat, les docteurs Mohamed Bahloul et Abdelhak Lamiri sur la nécessité d’insérer l’Algérie dans un nouveau régime de croissance tiré par l’économie du savoir et de l’innovation. Le monde connaît un bouleversement par l’innovation scientifique et technologique. Or, malheureusement, on a fonctionnarisé l’Université, une faction d’enseignants ayant besoin d’une mise à niveau, d’où l’importance d’étroites collaborations avec de s universités et centres de recherche de renom, la diaspora pouvant y contribuer.

Actuellement, lors du concours de professeur d’université, aussitôt le grade obtenu, le salaire devient le même durant toute la carrière entre un professeur qui publie et celui qui ne publie presque rien, jouissant ainsi d’une situation éternelle, de ce fait ne favorisant guère la recherche et démotivant ceux qui cherchent qui sont contraints à évoluer vers un autre environnement favorisant l’exode des meilleures compétences. Aussi, la réforme de l’Université ne doit pas concerner uniquement le salaire, ce qui aurait un impact limité, mais tout son fonctionnement, devant établir des grades de professeurs A , B , C , D , en fonction de leurs publications et de leurs créations avec un impact sur l’environnement. Mais il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les stratèges militaires. La réforme de l‘université doit s’inscrire dans le cadre d’une vision globale de la réforme de toute le système socio-éducatif : y compris la formation socio-professionnelle car si le niveau est bas à l’école primaire, faisant passer la majorité au secondaire, avec un niveau toujours faible, l’Université héritera d’un niveau faible. Or, le savoir favorisant le transfert technologique, combiné avec une bonne gouvernance est le fondement de la richesse d’une Nation.

2 – Un élément fondamental du savoir est la maîtrise du transfert de technologie, fondement du développement, devant se prémunir contre les nouvelles technologies à travers les cyberattaques ce qui renvoie à l’organisation de la société algérienne d’une manière générale face aux mutations tant internes que mondiales. Dans le domaine militaire, le chef d’état-major de l’ANP, le général d’armée, a mis en exergue la valorisation du savoir à travers l’innovation technologique, lors de la présidence de la 16e session du Conseil d’orientation de l’Ecole supérieure de guerre le 25 avril 2023, ayant souligné que les guerres modernes que connaît le monde d’aujourd’hui sont totalement différentes des guerres précédentes, où nous assistons à des guerres qui évoluent à une vitesse effrénée, faisant de celui qui ne peut en suivre le rythme, ou s’y adapter sur les plans de la planification stratégique et la virtuosité combative, une proie facile. Selon l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) le transfert technologique est le processus désignant le transfert formel à l’industrie de découvertes résultant de la recherche universitaire et la commercialisation de ces découvertes sous la forme de nouveaux produits et services. Pour la recherche académique, le transfert de technologie est une opération qui consiste à transmettre les connaissances issues d’une recherche, formalisées ou non sous forme de brevet (s) ou de droits de propriété déposés, à un autre centre de recherche, public ou privé, destiné à les poursuivre à des fins de développement industriel, ou à transformer la recherche en innovation industrielle, en cédant ses découvertes à une société. On ne doit pas confondre un transfert de technologie avec une cession de licence, le transfert de technologie incluant la communication d’un savoir-faire adapté au contexte de l’acquéreur. Droit public ou privé. Quelles sont les différentes formes de transfert de technologie ? D’abord, la diffusion des connaissances, parfois nommée diffusion et transfert de connaissances, qui est une discipline pratiquée par les centres de recherche à des fins d’information des organismes publics, des entreprises. Cette diffusion est pratiquée lors de congrès, par des publications constituant une des sources d’information de la veille technologique, veille qui permet de surveiller l’évolution des connaissances, du savoir-faire, de la faisabilité et des inventions dans un domaine et ses environnements de développement. Mais à proprement parler la veille technologique n’est pas un transfert de technologie mais facilite le transfert. Vient ensuite le siphonage technologique qui consiste à déterrer les projets somnolents dans les laboratoires de recherche, les universités, qui n’ont pas trouvé de débouchés industriels, pour les promouvoir à fin de créations d’entreprises. Une autre méthode de transfert souvent utilisée dans l’industrie pour faciliter la maîtrise du savoir-faire est le recrutement des cadres et des spécialistes d’une technologie. C’est une des activités des chasseurs de têtes, des cabinets de recrutement ou parfois cela débouche sur l’espionnage industriel si les bénéficiaires des informations savent les exploiter. Egalement on peut citer comme facilité de transfert dans une première phase la rétro-ingénierie appliquée dans l’enseignement technique, la contrefaçon ou piratage, prohibée selon les clauses de l’OMC qui a introduit la protection de la propriété intellectuelle, débouchant parfois sur une acquisition du savoir-faire, par la méthode des tâtonnements. Enfin nous avons le transfert partiel de technologie à travers la licence de production accordée à l’acquéreur mais exclut certaines technologies comme la protection du secret d’un savoir-faire.

3 – Face à la pression de la concurrence par l’innovation, du développement de produits sur mesure et de technologies de plus en plus complexes, les directions d’entreprises demandent aux cadres et salariés de produire la connaissance de leur propre travail d’où l’importance d’une formation permanente. Cette production de connaissances repose sur des formes d’engagement et d’implication qui font jouer un rôle central à l’initiative, à l’intuition, aux jugements (la fameuse boîte à outils japonaise source d’innovation par le collectif des travailleurs) mais aussi aux capacités des individus et plus largement aux «savoirs sociaux». Le Knowledge Management est stratégique pour chaque entreprise qui veut continuer à réussir. Le management des connaissances s’appuie sur les leviers de succès à savoir, les connaissances incorporées dans les produits et services ; les connaissances et compétences humaines au sein de l’entreprise (le capital humain); les connaissances contenues dans les processus (la structure interne) ; la mémoire organisationnelle; la mémoire transactionnelle et enfin les connaissances en tant que biens immatériels (capital intellectuel). Cette ouverture traduit la nécessaire rupture avec les formes de gouvernance centralisées, disciplinaires et mutilantes héritées de l’ère fordienne. Aussi, le capital se socialise dans différents dispositifs technico-organisationnels influant dans le rapport des individus au travail. Les enquêtes montrent clairement que cette extension des savoirs sociaux s’accompagne de nouvelles formes de segmentation (qualifiés/non qualifiés, mobiles /immobiles, jeunes/vieux, homme/femme) et d’un partage des activités et services qui deviennent de plus en plus marchands (délocalisation avec l’informatique en Inde, l’électronique au Japon, Corée du Sud). Cette approche socioculturelle qui rend compte de la complexité de nos sociétés dont le transfert de technologie en est l’aspect apparent doit beaucoup aux importants travaux de l’économiste indien, prix Nobel, Amartya Sen qui a mis en relief l’importance des anthropologies culturelles des sociétés, existant un lien dialectique entre le transfert de technologie et la culture.

4 – La culture nationale n’étant pas figée, mais évolutive fortement marquée par l’ouverture de la société sur l’environnement englobant l’ensemble des valeurs, des mythes, des rites et des signes partagés par la majorité du corps social est un constituant essentiel de la culture d’entreprise et du transfert technologique. Les expériences réussies du Japon, des pays émergents comme la Chine et l’Inde montrent que l’on peut assimiler la technologie sans renier sa culture. D’ailleurs, le transfert est favorisé lorsqu’existe une meilleure compréhension des valeurs convergentes et divergentes qui s’établissent entre deux groupes et vouloir imposer ses propres valeurs, c’est établir une relation de domination qui limite le transfert. Aussi, la culture d’entreprise est un sous-produit de la culture nationale et par conséquent un ensemble de valeurs, de mythes, de rites, de tabous et de signes partagés par la majorité des salariés et un élément essentiel pour expliquer les choix stratégiques en renforçant les valeurs communes : exemple, les règlement de conduite, les descriptifs des postes, ainsi que par le système de récompense et de sanctions adopté afin de mobiliser les salariés, qu’ils s’identifient à leur entreprise et s’approprient son histoire. Tout cela facilite le transfert de technologie qui ne doit pas se limiter à l’aspect technique, mais également managériale, organisationnel et commercial. L’indice de développement humain ou IDH développé en 1990 par l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq et l’économiste indien, prix Nobel d’économie Amartya Sen traduit l’importance du développement du capital humain dont l’éducation et la santé. Dans ce cadre, l’on doit mettre fin au mythe que c’est la possession d’importantes fortunes qui fait la valeur d’une personne, car la bataille de la relance économique de l’Algérie et la place dans la compétition mondiale se remportent grâce à la bonne gouvernance et notre capacité à innover. Combien de compétences avérées, formées par l’Algérie, ayant privilégié dans bon nombre de cas les relations de clientèles, fondement du système bureaucratique- rentier, au lieu des compétences se sont expatriées constituant une fuite de capitaux indirects se chiffrant en milliards de dollars. Selon une étude publiée le 26 septembre 2016, par By Africanews entre 1980/2015, la perte pour 500.000 ayant quitté le pays, les pays d’accueil ont économisé 300 milliards de dollars et un manque pour l’Algérie estimé pour cette période à 165 milliards de dollars. Qu’en est-il entre 2017/2023 ? Selon certaines enquêtes récentes, cela ne concerne pas seulement les médecins entre 70/ 80 %, pour des formations pointues, des ingénieurs en informatique, d’ingénieurs, biologistes, d’économistes experts dans les mécanismes financiers, quittent le pays. Uniquement pour les médecins, en 2021, on estime que 16 000 médecins et spécialistes algériens exercent dans le pays européens, sans compter les autres pays, et pour 2022 environ 1200 médecins algériens, de différentes spécialités, s’apprêtaient à partir en France pour travailler dans ses hôpitaux après leurs réussite aux épreuves de vérification des connaissances -EVC.

En conclusion, le monde est à l’aube de la quatrième révolution technologique mondiale, avec le développement de l’intelligence artificielle, la transition numérique et énergétique qui préfigurent un bouleversement mondial. Concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale par la maîtrise du savoir constitue le défi principal de l’Algérie. Le passage de l’État de «soutien contre la rente» à l’Etat de droit «basé sur le travail et l’intelligence» est un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social entre la Nation et l’Etat.

A. M.