L’expérience que j’ai vécue pour la délivrance d’un livret foncier: La puissance de l’hydre bureaucratique

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Cette présente contribution est l’histoire que j’ai vécue personnellement, une histoire réelle, loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates avec des discours et des promesses déconnectés de la réalité, l’hydre bureaucratique qui est un serpent fabuleux à plusieurs têtes qui renaissent dès qu’on lui en coupe une. Mon seul souci, étant muni d’un titre de propriété légal, était de récupérer le  livret foncier.

1- Cette histoire vécue concerne également la majorité des petits Algériens qui n’ont pas de connaissances, de l’Est à l’Ouest en passant par le Centre et le Sud où des centaines pour ne pas dire des milliers de dossiers sont amoncelés non informatisés. Tout se traite au manuel avec un personnel limité.

Bien malin pour retrouver tel ou tel dossier; il faut avoir le flair. Le bureaucrate en voyant ces centaines de personnes le supplier dans cette liste d’attente interminable est dans une jouissance extrême. C’est la puissance de la bureaucratie. Ce n’est pas de notre faute, renchérit le responsable local, car avec l’informatisation, le gain de temps et surtout cette attente interminable des citoyens serait réduite de 80%. J’ai rencontré une veille femme de 75 ans «mon fils, cela fait plus une année qu’il me font revenir après une attente de plusieurs heures. Je pointe parfois à 5 heures du matin. Je n’ai pas de connaissances, que dois-je faire car l’acte notarié n’étant plus suffisant, il faut à présent un livret foncier pour régulariser toute transaction immobilière.

Les vieilles gens sont généralement les plus concernées afin d’exécuter une fredha. Cela devient un chemin de calvaire pour eux. Il leur faut accéder pour certaines wilayas d’abord aux services concernés. Il y aura une âme généreuse qui viendra vous dire que la réception ne commence que l’après-midi, il ne vous dira pas que les bureaux ferment à 16h. Il vous informera qu’auparavant il faut aller récupérer le numéro de votre bien auprès du Cadastre. La surprise commencera d’abord là-bas, l’assaut des bureaux concernés commence à l’ouverture et bien  heureux celui qui arrachera le ticket d’accès à la chaîne qui s’est déjà formée. Alors fier d’avoir récupéré la précieuse information, le bienheureux se présente aux services du domaine le lendemain en début d’après-midi, en pensant être le premier. Quelle est sa surprise lorsqu’il s’aperçoit que la file est constituée déjà à partir de midi. Le nombre est tel qu’il est évident qu’il est impossible pour lui d’arriver aux guichets avant l’heure de fermeture. Il essaye encore le lendemain et c’est la même situation. Tout Algérien responsable arrive au constat qu’il lui sera impossible d’arriver à régler son problème de cette façon. Il demande à parler au directeur qui se trouvait par hasard de passage, il est vrai que la cohue avait atteint son paroxysme. Notre petit Algérien l’interpelle en lui faisant remarquer qu’à moins d’abandonner son travail pour venir camper devant les bureaux, il était impossible d’obtenir satisfaction. Il ose recommander d’organiser l’accès aux services des domaines par un enregistrement des citoyens pour faire respecter l’ordre d’arrivée et de clôturer l’enregistrement une fois le quota atteint en attendant que les autorités centrales veulent bien informatiser ces services cruciaux. Les vieux malheureux continueront leurs lamentations devant ces situations inextricables. Il serait intéressant à partir d’enquêtes de voir, par exemple, combien de temps ça prend si vous voulez acheter les droits, c’est-à-dire la délivrance des titres de propriété. Il y a lieu, également, de mesurer le temps pris en moyenne pour marchander avec la bureaucratie (corruption). Mais point de preuves. Tout se traite à l’oral et en informel. Concernant justement les titres de propriété, les domaines ont-ils elles inventorié combien d’habitations ont été construites illicitement sans titres ? Combien d’Algériens ont construit des habitations individuelles légalement mais qui ont en majorité entre 5 à 10 ans des actes administratifs et non des titres de propriété ? Paradoxe, nous assistons à des conflits entre des structures de l’Etat, notamment les APC et les réserves foncières traduisant des conflits d’intérêts ? Combien d’entrepreneurs au niveau des zones industrielles ont-ils des titres de propriété souvent demandés par les banques comme une fraction des garanties des prêts octroyés ? Qu’en sera-t-il pour le dossier sensible du cadastre agricole ?

Des enquêtes précises montrent que la majorité des entreprises publiques n’ont pas une délimitation claire de la superficie qu’elles occupent souvent en contradiction avec les données figurant dans leurs bilans? Que l’on visite en Algérie toutes les wilayas, faisons un inventaire de ces actifs et rapportons cette valeur à celle que donnent les statistiques officielles, et nous aurons mesuré l’importance de ces immobilisations en dehors du droit et que le produit national ne décode pas. Cela a des incidences sur la structuration spatiale des villes qui se créent partout et dans tous les lieux et ne peuvent pas planifier des besoins en eau, électricité (souvent avec des raccordements anarchiques) et sans réseaux d’assainissement. Cette situation est le reflet de la structuration sociale complexe où cette sphère dite «illégale» n’est pas relativement autonome vis-à-vis des sphères bureaucratiques locales et centrales. Or, lorsque le droit ne fonctionne pas, rien d’autre ne fonctionne avec les risques d’autoritarisme et d’abus qui pénalisent surtout les couches les plus défavorisées. Le droit de propriété est essentiel et l’intégration de la sphère informelle est cruciale si on veut créer une économie de marché véritable basée sur la production de richesses et l’Etat de droit. Où est la crédibilité d’un Etat qui ne contrôle que 10 à 20% des activités économiques ? 

2-L’histoire réelle, que j’ai vécue et que vivent des millions d’Algériens au sujet du livret foncier mais pouvant être étendue à d’autres segments montre clairement la dominance du pouvoir bureaucratique rentier sclérosant; dont la résolution  passe  par des actions concrètes de lutte contre la corruption, le favoritisme, le régionalisme, les relations de clientèle occulte qui ont remplacé les relations contractuelles transparentes, l’application de le principe de Peter qui fait que l’on gravite dans la hiérarchie en fonction de sa servitude et de son degré d’incompétence. La lutte contre la bureaucratie source de la corruption renvoie à la question de l’Etat de droit, la transparence dans les décisions, soutenue par un dialogue permanent ouvert à la société, la bonne gouvernance et à la démocratie tenant compte de notre riche anthropologie culturelle. Cela est sous-tendu par la nécessaire rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Cela n’est pas une question de lois vision bureaucratique et d’une culture dépassée, les pratiques sociales contredisant quotidiennement le juridisme. En fait, le dépassement de cette entropie implique la refonte de l’Etat, liée à la moralisation des personnes chargées de générer la Cité. Le pouvoir bureaucratique sclérosant a ainsi trois conséquences nuisibles au développement en Algérie : une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays; l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique; et enfin le bureaucrate bâtit au nom de l’Etat des plans dont l’efficacité sinon l’imagination se révèle bien faible, le but étant de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire.

Or, sans retour à la confiance, il ne peut y avoir symbiose Etat-citoyen et encore moins un processus de développement fiable renvoyant à la morale et à  une vision claire, toute démarche scientifique exigeant  de partir du général pour revenir au particulier afin de proposer des solutions concrètes aux problèmes multidimensionnels auxquelles est confronté le pays durant cette étape décisive, les tactiques devant s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique à moyen et long terme.

La confusion des rôles, entretenue par les rentiers, ne fait que traduire l’absence d’objectifs précis qui ont des incidences négatives tant économiques (dépenser sans compter), sociales que politiques. Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire dans toute économie mais il doit être au service de la société (le terrorisme bureaucratique est l’obstacle majeur au frein à l’Etat de droit et à l’investissement porteur en Algérie». (Interview d’Abderrahmane Mebtoul au grand quotidien financier français – Les Echos (2008).  Il est nécessaire au fonctionnement de toute économie mais non fonctionner comme en Algérie comme pouvoir bureaucratique qui fonctionne en vase clos et qui est le pouvoir numéro 1, car les pratiques sociales contredisent souvent les discours si louables soient-ils. Des structures centrales et locales hétéroclites non synchronisées et souvent antinomiques bloquent la circulation de l’information qui en ce XXIe siècle avec la révolution d’Internet constitue le véritable pouvoir, certaines sous- structures ou personnes acquérant plus de pouvoir par la détention de certaines informations. Ces réseaux croisés – étanches – expliquent que lors de séminaires à intervalles de quelques mois, des responsables différents donnent des chiffres différents parfois contradictoires, par exemple, les différents taux de croissance d’inflation et du taux de chômage données qui contredisent les tests de cohérence. La non-maîtrise des données internationales, la faiblesse de la codification existante, la rente ayant pendant des années combler les déficits au nom d’une paix sociale fictive, la marginalisation des compétences, tout cela a engendré fondamentalement par la nature du système bureaucratique expliquent l’effondrement du système d’information à tous les niveaux ou parfois des responsables sont informés par la presse ignorant le fonctionnement de leur secteur. Or, la base de toute décision repose sur une information fiable et une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la Nation de plusieurs centaines voire des milliards de dollars. Et la nature du pouvoir bureaucratique est de croire que c’est en faisant des séminaires,  en pondant des lois ou en changeant d’organisations que l’on solutionne les  problèmes alors qu’il s’agit de s’attaquer au fonctionnement  de la société. Car, pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large- véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire en Algérie de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent ni la structure des fonds de participations ni la nature des holdings, si les sociétés de participation de l’Etat SGP qu’ils soient de 10, 20 ou 30, ni récemment les groupes industriels. C’est que  la majorité des entreprises que ce soit pour leur investissement ou leur exploitation courante, sont entièrement dépendantes de «la monnaie hydrocarbures» avec des  liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle, (avec des monopoleurs informels), produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et de la bureaucratie qui contrôlent 40% de la masse monétaire en circulation et plus de 65% des segments des produits de première nécessité. Le  système économique algérien s’est construit sur un ensemble de réseaux portés par des intérêts financiers individuels à court terme, développant ensuite à moyen terme des stratégies d’enracinement bloquant les réformes pour préserver des intérêts acquis, pas forcément porteur de croissance mais pour le partage de la rente. Or, la vraie richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement, opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail, mais par les avances récurrentes (tirage: réescompte) auprès de la Banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public en la forme d’assainissement, rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d’Algérie. L’analyse du système financier algérien ne peut être comprise donc sans aborder la rente des hydrocarbures où la richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock ressources naturelles d’hydrocarbures)-stock monétaire (transformation: richesse monétaire) – répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation). La société des hydrocarbures ne créait pas de richesses ou du moins très peu, elle transforme un stock physique en stock monétaire (champ de l’entreprise) ou contribue à avoir des réserves de change. D’où l’urgence de la  réforme du  système financier, poumon du développement du pays et de la croissance future du pays, étant  un enjeu énorme de pouvoir, ce qui explique que les réformes annoncées depuis  des décennies sont  souvent différées, les banques publiques  représentant plus de 85% du crédit octroyé et malgré leur nombre les banques privées sont marginales. En bref, afin d’éviter le divorce Etat-citoyen et pour un développement durable, de là il y a urgence de profondes réformes structurelles, loin des replâtrages conjoncturels qui accentuent la crise à terme.

A. M.